Dès son arrivée en 2021, Guido Terreni, CEO de Parmigiani Fleurier, voulait replacer la manufacture sur l’échiquier des marques de luxe discrètes. Ce tacticien avait mis une décennie pour asseoir la légitimité des montres Bulgari et deux ans pour redonner une identité à la marque de Fleurier.
Comment vivez-vous vos relations avec les cotraitants ?
Guido Terreni : Les sous-traitants sont la partie cachée de l’industrie horlogère, mais ils demeurent incontournables dans la production des montres. Il est difficile de réaliser une montre en interne à 100%. Les cotraitants garantissent l’équilibre dans les capacités productives et amènent des compétences spécifiques, ardues à internaliser. Il est impossible de maitriser tous les métiers de l’horlogerie. Cela serait aux antipodes de la rentabilité de tout produire à l’interne. Dans le même temps, plusieurs marques sont nécessaires pour rentabiliser une activité de sous-traitance. Au sein du pôle horloger de la Fondation Sandoz, nous avons beaucoup internalisé. Vaucher Manufacture dans les mouvements, Les Artisans Boitiers pour les boites, Cadrans et Habillages dans les cadrans et Elwin et Atokalpa dans le décolletage, mais c’est assez unique. Nous disposons d’une internalisation de haute qualité, à même de répondre aux exigences d’une horlogerie de premier ordre, avec des finitions d’exception sur des productions qui vont au-delà de la micro-série des montres. Il est aisé de monter une marque avec quelques pièces de production semi-artisanale, mais c’est une autre histoire que d’assurer la qualité de milliers de pièces par année.
Pourrait-on établir un parallèle entre le créateur des pièces Parmigiani et un chef d’orchestre ?
C’est plus complexe. On écrit la musique, on joue de l’instrument et on l’interprète. Et même si nous ne jouons pas de tous les instruments, il est essentiel de saisir le client, la marque, l’esthétisme et la technique ensemble. Cela étant, il faut que cela soit du domaine du réalisable tout en incitant les fabricants de composants à se dépasser. En fait, je réfute l’idée qu’en horlogerie, tout aurait déjà été inventé. L’évolution de cette industrie doit être constante.
Avez-vous eu des difficultés avec des cotraitants ?
Cela varie en fonction des cycles de l’industrie. Lorsque les carnets de commandes ne débordent pas, les fournisseurs témoignent d’une grande disponibilité. Leur flexibilité est moins évidente dans un cycle haussier.
Notre pays produit quinze millions de montres par an avec plus de 50% du marché horloger mondial en valeur. Les raisons de cette suprématie ?
Il y a deux millions de montres dont le prix dépasse les 10’000 francs. A mes débuts, les quantités étaient différentes. Plus de vingt ans auparavant, nous avions un demi-million de pièces au-delà de ce montant. Cela signifie que le réseau haut de gamme de la Suisse est vraiment au maximum de ses capacités. Nous voyons que les chiffres des volumes diminuent chaque année mais que le prix moyen des montres augmente. En 2000, la Suisse exportait 29 millions de montres mécaniques pour 34% au-dessus des 10’000 francs. Aujourd’hui, le marché exporte 77% de pièces dépassant ce montant, une transformation radicale !
Pourquoi la Suisse ?
L’art mécanique a convergé dans l’Arc jurassien, il y a près de trois siècles. Les Helvètes ont commencé à fabriquer des montres quand ils ont cessé de faire les mercenaires.
Est-ce que cette suprématie pourra tenir sur le long terme ?
Oui, absolument, vous avez les Allemands de Lange & Söhne et Glasshütte. La région de Dresde est connue pour être le berceau de l’horlogerie allemande, mais cela reste une exception. Il y a aussi des marques excellentes à l’instar des Japonais du Grand Seiko, qui commencent à monter en gamme. Je vois aussi des labels chinois mais à un niveau moindre. Pour autant, je ne vois pas pourquoi d’autres cultures ne pourraient pas se lancer dans l’horlogerie.
Quelle place occupe Parmigiani dans ce secteur ?
Parmigiani est une marque haut de gamme et prestigieuse. Nous avons un volume de quelques milliers de pièces par année. Le prix moyen tourne autour de 40’000.- CHF. C’est une marque très prisée dans le luxe et dans la culture de l’horlogerie. Michel Parmigiani est une icône de la restauration de montres, il maîtrise toutes les finitions, tous les métiers et toutes les techniques de l’histoire de l’horlogerie. Une véritable encyclopédie vivante de l’horlogerie !
Votre bilan provisoire ?
A mon arrivée en 2021, j’ai triplé le chiffre d’affaires en deux ans. Nous avons réactivé une marque prestigieuse, qui avait peu ou prou perdu le lien avec sa clientèle. Grâce au renouvellement de la gamme, nous exprimons aujourd’hui un luxe discret dont le prestige est redevable à Michel Parmigiani, fondateur de la marque éponyme. Nous avons lancé la Tonda PF, un modèle revisité qui relève du quiet luxury. Un luxe qui se chuchote au lieu de s’époumoner. Les connaisseurs ont adoré ! Ce style épuré s’inspire de l’art de la restauration et de la sensibilité de son fondateur à tous les métiers de l’horlogerie. Le poinçon « PF » fait désormais partie intégrante de la marque.
Comment Parmigiani se distingue de la concurrence ?
Son style est dédié aux personnes raffinées. Force, élégance et culture comme dans l’escrime. La marque se distingue par son style minimaliste, tout en étant riche dans les finitions. Cette pièce coûte cher, mais sa particularité réside dans son aspect unique : si on ne la connaît pas, on ne la remarque pas. Un choix délibéré vers le luxe épuré et discret.
Quelles sont les erreurs dont vous avez appris le plus ?
Il ne faut jamais se lancer dans une entreprise sous les pressions de quiconque, sans en être vraiment convaincu. C’est du quick win, une victoire à la Pyrrhus dont le succès rapide finit toujours par être payé ultérieurement. Réfléchir avant de passer à l’action.
Les Suisses ont commencé à fabriquer des montres quand ils ont cessé de faire les mercenaires.
Il faut refuser l’idée qu’en horlogerie, tout aurait déjà été inventé et repousser nos limites.